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Le rideau va bientôt tomber sur la scène du théâtre Elinga de Luanda. Définitivement. Ce haut lieu de la culture angolaise, berceau d’artistes contestataires, va en effet bientôt disparaître, ses murs roses réduits à l’état de gravas, écrasés par les bulldozers, et ainsi connaître le sort de tant de maisons anciennes du centre-ville de la capitale angolaise, livré aux promoteurs immobiliers attirés par les fragrances de l’or noir du deuxième producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne.Le théâtre avait pourtant des atouts pour échapper à ce sort funeste. Au-delà de la réputation internationale de ses créations dans le domaine de la danse et du théâtre, le bâtiment était classé monument historique par le ministère de la culture. Qu’à cela ne tienne ! Cette ancienne école construite par les colons portugais au XIXe siècle a tout simplement été déclassée en avril par le ministère de la culture. ” Du jour au lendemain, il n’y aurait plus eu de raisons historiques pour maintenir le classement. C’est la seule explication que l’on a bien voulu me donner. Risible si cela ne sonnait pas le glas du théâtre “, se lamente son directeur et auteur de pièces José Mena Abrantes.La vraie raison est financière. Tout le quartier va être rasé pour y construire un parking et des bureaux. Un investissement de quelques dizaines de millions de dollars portés par de mystérieux financiers liés au pouvoir, qui espèrent bien obtenir un retour sur investissement rapide en louant les locaux à quelques multinationales du pétrole américaine, française ou brésilienne, ou à des banques.Le calcul n’est pas idiot. Luanda est la deuxième ville la plus chère du monde pour les expatriés, derrière Tokyo, selon le classement 2011 réalisé par le cabinet de consultants Mercer. Le prix des bureaux bat des records dans cette ville où le loyer mensuel d’une maison pour expatriés tourne aux alentours de 20 000 dollars (15 500 euros).Depuis le boom pétrolier du milieu des années 1990 qui a fait exploser la croissance du pays (15 % en moyenne dans les années 2000), Luanda est saisie par une fièvre constructrice. Les chantiers éventrent la ville, sur lesquels des ouvriers chinois travaillent sans répit. Les vieilles pierres n’y résistent pas. ” Les Angolais, si fiers de vivre dans une des capitales les plus anciennes d’Afrique noire, n’auront bientôt plus de quoi se vanter. Il ne restera plus rien d’ancien dans la ville “, observe José Mena Abrantes.Presque sous ses fenêtres, passe une corniche de 200 millions de dollars, inaugurée la veille de sa réélection, le 28 août, par le président José Eduardo dos Santos, au pouvoir depuis trente-trois ans. Une corniche débarrassée des vieilles maisons qui se donne des airs californiens avec ses joggers et ses amateurs de musculation en plein air. Et même des rollers, incongrus dans le reste de cette cité aux trottoirs défoncés. Les gratte-ciel, eux, poussent comme des champignons et délogent vers les faubourgs, à coup de bulldozers sauvages et de matraques policières, les musseques, ces favelas angolaises sans eau ni électricité dans lesquelles s’entassent la plupart des quelque 6 à 7 millions d’habitants de Luanda. ” Les autorités entendent faire de Luanda le Dubaï d’Afrique australe, rappelle Claudia Gastrow, urbaniste et universitaire de Boston étudiant la capitale angolaise. Mais on ne voit pas la logique urbanistique ni la coordination. Le centre-ville n’est qu’une façade. “Copier le modèle Dubaï ? Jusqu’à projeter de construire, comme dans le Golfe, des îles artificielles au large de Luanda. Une idée portée par un certain José Recio, un ancien réparateur de pneus qui a fait fortune dans l’immobilier. Les plans furent bloqués par le président en conseil des ministres. Mais pour le théâtre Elinga, les dés sont jetés. José Mena Abrantes, par ailleurs conseiller en communication du président, n’était pourtant pas le plus mal placé pour éviter l’irréparable. Mais rien n’y a fait. Ni les pétitions, ni les interventions discrètes. Elinga deviendra un parking.”
quantas madrugadas tem a noite?
José Mena Abrantes appartient au premier cercle du pouvoir mais il ne s’est pas enrichi “, confirme Antonio Setas, journaliste d’opposition que l’on ne peut suspecter de mansuétude à l’égard d’un membre du MPLA (ancien parti unique, au pouvoir). Même le rappeur et figure de proue anti-régime Luaty Beirao ne trouve rien à redire contre le directeur du théâtre.Né en 1945 en Angola de parents d’origine portugaise, il fait ses études au Portugal d’où il s’est enfui au début des années 1970 pour échapper à la conscription qui envoyait les jeunes Portugais se battre dans leur colonie contre les indépendantistes. Il rallie le MPLA en Allemagne, sans pouvoir rejoindre la guérilla. ” “On ne veut pas de Blancs !”, m’ont-ils dit. “Une sourde lutte secouait alors le MPLA où une partie du mouvement voulait ” africaniser ” la rébellion.Il revient à Luanda au moment de l’indépendance, en 1975. La guerre civile déchire le pays. Une lutte à mort entre le MPLA, le FNLA et l’Unita qui fera 500 000 victimes et 4 millions de déplacés jusqu’en 2002. ” C’était la guerre et, moi, je voulais faire du théâtre ! “, se rappelle-t-il. Il devra patienter plus de dix ans durant lesquels il crée l’agence de presse officielle Angop d’où il finira par se faire licencier pour ” non-coopération avec la sphère idéologique “. Les alliés du régime angolais sont alors soviétiques et cubains. ” Mais dès le milieu des années 1980, dos Santos réfléchit à une réforme du système, avant la perestroïka “, affirme-t-il.Il choisit le théâtre, ” pour ne rien avoir à faire avec la politique “, dit-il. Petit à petit, le marxisme est enterré au profit d’une économie de marché confisquée par une clique d’officiers, tel le général Helder Vieira Dias ” Kopelina “, directeur du juteux Office national pour la reconstruction. ” Beaucoup se sont enrichis à l’époque “, regrette-t-il, avant même le boom pétrolier.José Mena Abrantes est un idéaliste. Fidèle à dos Santos plus qu’au MPLA, il se dit convaincu que le président a entendu les mouvements de contestation qui agitent la capitale depuis plus d’un an. ” Il fallait reconstruire les infrastructures avant de s’attaquer à la politique sociale. Il doit maintenant investir ce terrain-là. “ Sur les murs du théâtre, un petit graffiti proclame :” Ce chaos est en train de me tuer. “ Il a eu la peau du théâtre.
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Christophe Châtelot© Le Monde
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