Les émeutes qui ont éclaté le 1er septembre ont fait sept morts dans la capitale mozambicaine. Les habitants des quartiers populaires se révoltent contre la flambée des prix. L’armée réprime. Le régime ne comprend plus les préoccupations des populations les plus pauvres qui l’ont pourtant porté au pouvoir.
Maputo a connu le 1er septembre une journée sous le signe de barricades de pneus brûlant dans la rue, de jets de pierres sur des voitures et des vitrines, et de citoyens tués par les balles des forces de police. Comme lors de ce mois de février, la révolte a été convoquée via SMS et le bouche à oreille et s’est
répandue telle une boule de neige d’un quartier populaire à un autre, à mesure que la fumée des barricades voisines devenait visible. Comme en 2008, la cause immédiate des protestations a été l’augmentation brutale des prix. A l’époque, c’était les tarifs des “chapas”, des fourgonnettes brinquebalantes qui servent de moyen de transport à l’immense majorité des habitants. Aujourd’hui, c’est celui de l’eau, de l’électricité, et du pain et du riz - leur base alimentaire.
Ajoutons que dans les deux cas, les augmentations menacent les perspectives de survie d’une population qui a besoin de toute son ingéniosité et de sa débrouillardise pour, simplement, se maintenir au bord du précipice. Pour ces pauvres, le plus irritant ce ne sont pas les augmentations, mais ce qu’elles signifient : une déconsidération de la part de ceux qui décident face à leurs difficultés et leurs besoins les plus élémentaires.
Avec la fin de la guerre civile, le Mozambique est passé d’un régime socialisant et paternaliste à une politique ultralibérale qui a entraîné l’augmentation du chômage et l’apparition d’une élite économique issue ou proche de l’élite politique. Mais aussi l’érosion du contrôle local de la population à travers les institutions partisanes qui, si elles pouvaient être à l’origine d’abus, jouaient également le rôle de canalisateur des besoins et des demandes populaires. Le sentiment qui se propage actuellement dans les quartiers populaires du Grand Maputo est celui d’une incertitude globale quant au futur et à leur propre survie et l’idée que leurs difficultés sont devenues sans intérêt pour les puissants, qu’il n’y a pas de canaux où communiquer de façon efficace leurs demandes. Cette situation et cette vision expliquent que les révoltes comme celle de mercredi sont perçues comme la seule forme viable de protestation. Et qu’elles se peuvent se produire chaque fois qu’une nouvelle mesure menacera leur survie alors qu’ils voient défiler devant eux de véritables ostentations de richesse et d’inégalité.
Cela ne signifie pas que ceux qui protestent violemment prétendent mettre en cause le gouvernement ou le parti qui le dirige depuis l’indépendance. Maputo est un bastion du FRELIMO [le Front de libération du Mozambique, qui a conduit dès le début des années 1960 la lutte pour l’indépendance de cette ex-colonie portugaise] et la majorité des manifestants ont vraisemblablement voté pour lui lors des législatives de l’an passé. Sauf que la vision des droits et desd evoirs entre gouvernants et gouvernés qui prédomine chez les habitants des quartiers populaires ne coïncide pas avec la tradition européenne (et celle des élites politiques locales). Pour eux, il suffit qu’un gouvernement légitime prenne des décisions légales pour que celles-ci soient de la sorte légitimes. Ils considèrent plutôt que le pouvoir n’a pas à être menacé mais, en contrepartie, il doit garantir un minimum de bien-être et de dignité aux personnes qu’il gouverne. Le gouvernant peut “manger plus”, mais pas “manger tout seul” au prix de la faim des autres.
Les révoltés du 1er septembre (tout comme ceux de 2008) protestaient contre une décision politique concrète, contre la façon dont le pouvoir politique est exercé. En fin de compte, ils protestaient contre ce qu’ils considèrent être une rupture du “contrat social” qu’ils établissent avec le pouvoir et auquel ils se soumettent. Une rupture qu’ils ne tolèrent plus. Bien sûr, chaque fois qu’une révolte est couronnée de succès (celle de 2008 était un véritable motif d’orgueil dans les quartiers pauvres), cela renforce l’idée populaire que c’est la seule forme efficace de protestation. Ce qui met le gouvernement mozambicain face à un dilemme épineux : soit il ne cède pas aux demandes et il augmente de façon exponentielle la répression policière, risquant de la sorte de perdre l’appui financier international dont il dépend ; soit il agit d’une façon plus “traditionnellement” africaine, en étant plus à l’écoute, en dialoguant, ce qui fragiliserait ses pratiques autoritaires et la concentration de richesse telle qu’elle existe aujourd’hui.
Paulo Granjo, Público 3 / 9 /10