Placée au centre de la première salle de l’exposition Angola, figures de pouvoir, au Musée Dapper, à Paris, une statue de bois sombre au grain si fin que le sculpteur a pu l’inciser, l’évider et le polir autant qu’il l’a voulu. Le regard s’arrête sur la tête et la coiffure faite d’une sorte d’auréole et de deux courbes symétriques encadrant le visage. Quand il se porte sur les mains et les pieds, on s’aperçoit de leurs disproportions : s’ils sont si longs et forts, c’est par symbolisme.
Une ethnologue a établi que la statue représente Chibinda Ilunga, héros mythique du peuple Chokwe. Doué d’une force plus qu’humaine, comme ses mains, il est aussi un modèle de virilité, comme l’indiquent son sexe circoncis et les cheveux qui lui font une barbe presque naturelle. Sa stature et sa posture légèrement menaçante augmentent le sentiment de puissance. Un autre détail attire l’attention. Le guerrier a une lance dans une main, et un fusil dans l’autre, l’un de ces fusils à silex dont les Européens faisaient commerce en Afrique. Les Chokwe ont longtemps défendu leur pouvoir et augmenté leurs territoires grâce aux armes à feu achetées aux Portugais ou aux Hollandais. Chibinda Ilunga est une légende qui renvoie à une situation et des événements réels. Donc à l’histoire.
Contrairement à la plupart des expositions consacrées à l’Afrique, “Angola” n’est pas seulement une exposition ethnographique. Parmi les cent quarante oeuvres qu’elle présente pour la première fois à Paris, beaucoup ne se comprennent qu’en relation avec une histoire politique, diplomatique et économique. Quand, en 1482, l’expédition portugaise commandée par Diego Cao (1450-1486) arrive dans l’estuaire du fleuve Zaïre, elle ne rencontre pas des “primitifs” mais le royaume Kongo, aux structures stables, avec ses villes, sa monarchie, ses gouverneurs et ses percepteurs de tributs, payés en nzimbu, un coquillage. On ne peut être plus loin de l’image d’Epinal du “civilisé” européen face à des “sauvages”.